Quand les lois du capitalisme se combinent avec la scoumoune patronymique, alors on peut dire que la vie ne vous a pas fait de cadeau...

 

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Les valises 1 / Pièce courte 11


Un homme est assis sur une valise

Ici, dans l'entreprise, on a toujours été content de moi. Je sais ce que vous allez penser : ce type n'est pas modeste modeste quand même ! Et puis comment peut-il le savoir qu'on a toujours été content de lui ? On l'a convoqué pour le lui dire : Monsieur Machin, on a toujours été content de vous ? Hum ? Ridicule ! Ou alors si on convoque effectivement Monsieur Machin pour lui dire : Monsieur Machin, on a toujours été content de vous... ça signifie que Monsieur Machin est plus près de la porte que de l'augmentation ! Non ? A propos, Machin, c'est mon nom. Je veux dire mon vrai nom, pas un nom qu'on donne comme ça pour rire, pas un surnom non plus, non, mon vrai nom : je m'appelle Machin, pardon, Monsieur Machin. C'est vrai que je dois admettre qu'à choisir, j'en aurais pris un autre de patronyme, mais je n'y suis pour rien dans le fait que ma mère soit tombée amoureuse d'un certain monsieur Machin qui allait devenir mon père. Bon, dans l'entreprise, ils ont été très bien. Il faut dire que j'étais déjà largement en peine d'avoir quitté ma province et que malgré ma volonté d'acier de m'intégrer, à cette époque-là, j'éclatais assez facilement en sanglots. Surtout, le soir, en ouvrant la porte de mon petit studio lorsque le répondeur m'annonçait de sa douce voix féminine que j'avais zéro message... Mais bon ! J'étais jeune et la vie était pleine de promesses ! Ma mère m'avait appris le repassage et mon père le stoïcisme : j'étais donc armé pour l'affronter ! J'eus cependant la chance de ne pas arriver seul à l'entreprise, ils embauchaient beaucoup alors, et nous formions un petit groupe d'arrivants qui faisait cercle le midi autour du plateau repas. Même dans mon service, ils étaient tous très gentils avec moi. Ils semblaient apprécier mes compétences techniques, mon enthousiasme à rendre service et particulièrement le fait que je ne voyais pas d'inconvénients à partir le dernier s'il restait du travail. C'est d'ailleurs là que les choses se sont un peu gâtées et que certains ont dit que je cherchais à me faire bien voir des supérieurs. C'était injuste, mais c'était comme ça. Les leçons de stoïcisme de Monsieur Machin père me furent alors d'un grand secours. Non, le vrai drame de ma vie à cette époque était ma timidité envers les femmes. Impossible de dire un mot à une potentiellement future Madame Machin sans que ma gorge ne se noue ou que je me mette à transpirer...

 

(A suivre...)