Martial Bléger
Théâtre

Les valises 1 / Pièce courte 4

Un couple marche dans la brousse en portant des valises. L'homme s'arrête pour prendre une photo.

LUI - C'est beau, non ?

ELLE - ....

LUI - Cette nature. C'est superbe ! Quelle puissance ! Tout est plus grand ici !

ELLE - Je m'en fous.

LUI - Tu n'es pas sensible à toute cette beauté ?

ELLE - C'est plutôt des pieds que je suis sensible en ce moment.

LUI - Tiens, regarde ça ! C'est quoi, à ton avis ?

ELLE - Un arbre.

LUI - Un baobab ! Est-ce que tu te rends seulement compte du nombre de générations d'hommes qui ont vu cet arbre à cette même place ?

ELLE - Il n'y a personne ici.

LUI - Et ces termitières... Tu as vu la hauteur de ces termitières ?

ELLE - Je n'en peux plus ! (Elle s'assied sur sa valise.)

LUI - Tu réalises combien il doit y avoir de termites là-dedans ?

ELLE - J'ai les pieds en compote...

LUI - Allez ! Encore un effort ! Le village doit être juste derrière cette colline !

ELLE - Tu l'as déjà dit à propos des deux collines précédentes !

LUI - Oui... Bon... Mais celle-là, c'est la bonne. Je le sens !

ELLE - Non. Fini. Je n'en peux plus...

LUI - Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

ELLE - Je ne ferai pas un pas de plus.

LUI - C'est idiot, nous y sommes presque !

ELLE - Ne parle pas de ce qui est idiot ou pas !

LUI - Bon, ça va ! C'est de ma faute si nous sommes tombés en panne ?

ELLE - Oui.

LUI - Tu es injuste, Zoé !

ELLE - Il ne fallait pas être un expert pour se rendre compte qu'il était pourri le 4X4 qu'on nous a refilé !

LUI - Ils sont tous comme ça les véhicules en Afrique !

ELLE - Tu t'es fait avoir, c'est tout !

LUI - Moi, je me suis fait avoir ?

ELLE - Oh, et puis merde ! Cette discussion n'a aucun sens !

LUI - Je te signale que c'est toi qui a insisté pour que nous ne prenions pas de téléphone. Un bon portable satellitaire et nous aurions déjà les secours !

ELLE - Tu passes ta vie au téléphone ! Si on en avait apporté un, au retour, tu ne te serais même pas aperçu qu'on était parti !

LUI - N'empêche qu'avec un portable...

ELLE - J'en ai ma claque... Mais ma claque !

On entend un rugissement de fauve.

LUI - Qu'est-ce que c'est ?

ELLE - On aurait dit comme un... lion, non ?

LUI - Tu plaisantes ?

ELLE - Si tu allais voir ? Il est peut-être blessé...

LUI - Justement, c'est quand ils sont blessés qu'ils sont dangereux.

ELLE - C'est quand même ton métier, les animaux, non ?

LUI - Oui, enfin, je dirige un institut de toilettage pour caniches.

ELLE - Il a peut-être une épine dans la patte ?

LUI - Admettons, mais s'il n'a pas pris son petit-déjeuner ?

ELLE - L'homme que j'aime serait aller porter assistance à cette pauvre bête !

LUI - Qu'est-ce que tu sous-entends ?

ELLE - Rien mon chéri. Tu as le droit de ne pas être à la hauteur.

LUI - Tu en as de bonnes ! Vas-y, toi !

ELLE - J'ai mal aux pieds et je n'y connais rien en fauve.

LUI - La bonne excuse !

ELLE - De toute façon, tu ne me laisserais pas y aller !

LUI - Bien sûr que je t'en empêcherai !

ELLE - Tu m'en empêcherais pour la même raison que je t'incite à y aller : parce que tu nous nous aimons et que je ne pourrais pas continuer à t'aimer en te sachant si timoré !

LUI - Timoré ? Mais c'est un fauve !

ELLE - Tu en fais bien des histoires pour un gros chat !

LUI - Mais s'il me saute dessus ?

ELLE - Eh bien, tu m'auras prouvé ton courage !

LUI - Et si je ne reviens pas, comment feras-tu ?

ELLE - La maison est à mon nom.

LUI - De quoi vivras-tu ?

ELLE - Tu as souscrit tout un tas d'assurances, non ?

LUI - Et nos enfants ?

ELLE - A cet âge-là, on oublie vite.

LUI - Et tu pourras tout gérer toute seule ?

ELLE - Bah, une jolie femme comme moi ne reste pas longtemps seule.

LUI - Et tu ne seras tout de même pas un tout petit peu malheureuse ?

ELLE - Mon chéri, comme tu es sentimental !

(A suivre...)