Martial Bléger
Théâtre

Les valises 2 / Pièce courte 6

Un couple portant chacun une valise et un sac à dos traverse un hall d'aéroport. Ambiance sonore.

ELLE - Tu te dépêches un peu !

LUI - Oui... Oui...

ELLE - C'est agaçant à la fin, cette façon que tu as de ne pas avancer !

LUI - J'avance, j'avance.

ELLE - Tu dis que tu avances, mais tu te traînes comme un vieux chien.

LUI - Je suis au maxi.

ELLE - Tu veux qu'on change de valise ?

LUI - Non, je m'en sors très bien.

ELLE - A ce rythme-là, on va rater l'avion.

LUI - Mais non, mais non...

ELLE - Allez, c'est reparti ! (Elle fait quelques pas et se retourne.) Qu'est-ce qu'il y     a ?

LUI - Je me suis niqué le dos.

ELLE - C'est pas vrai !

LUI - J'ai senti comme un clac !

ELLE - Tu t'es fait mal ?

LUI - C'est sûrement grave.

ELLE - Montre-moi.

LUI - Ah ça non ! Je ne vais pas me laisser manipuler par n'importe qui !

ELLE - Charmant ! Allez, ne fais pas l'enfant !

LUI - Je n'ai pas envie de finir paralysé, moi !

ELLE - Tu oublies que je suis la kiné de mon équipe de tennis.

LUI - Fffff... Vous ne passez jamais un tour en compétition !

ELLE - Justement : c'est quand on perd qu'on ressent le plus les douleurs ! Fais voir...

LUI - Non, merci, d'ailleurs, ça va déjà mieux.

ELLE - On va pouvoir repartir alors ?

LUI - On y va ! (Un temps.) Attends ! Les billets ! J'ai oublié les billets sur la   cheminée ! Je les avais mis dessus bien en évidence pour ne pas les oublier. Toute la matinée je me suis dit : pense à prendre les billets sur la cheminée ! Et je les ai laissés là-bas, entre la photo où tu es suspendue au bout d'un élastique et celle où tu remontes d'un gouffre ! Je suis désolé, ma chérie. Je ne sais pas comment tu vas pouvoir me pardonner.

ELLE (sortant les billets de son sac) - T'inquiète, mon chéri, moi, j'y ai pensé.

LUI (faussement) - Ah ! Quel soulagement !

ELLE - On est parti ?

LUI - Oui. (Il fait un pas.) Le gaz !

ELLE - Nous n'avons pas le gaz.

LUI - Ah oui ! C'est vrai... (Il repart.) L'eau ! On a bien l'eau, non ? Eh bien, je crois bien que j'ai oublié de couper l'eau.

ELLE - Et alors ?

LUI - Comment ça : « et alors ? » Tu ne sais pas que si les canalisations gèlent, puis dégèlent, c'est la catastrophe !

ELLE - Il fait 25 °.

LUI - Et la nuit ? Tu penses à la nuit ?

ELLE - Nous sommes en juillet.

LUI - C'est vrai...

ELLE - C'est bon ? Tu as pensé à tout ? On peut repartir ?

LUI - Oui. Bien sûr...

ELLE - En avant.

LUI - Ne marche pas si vite, j'ai mal au pied. Elles sont nulles ces chaussures !

ELLE - Non, elles sont neuves ! Combien de fois je t'ai dit de marcher avec avant pour ne pas te retrouver avec le problème !

LUI - Tu me vois aller au travail en costard et chaussures de montagne !

ELLE - Sache que, comme entraînement, je me rends à pieds jusqu'à mon bureau avec trois dictionnaires dans mon sac à dos depuis quinze jours !

LUI - Ah ! C'était là qu'ils étaient ?

ELLE - Un trek ça se prépare bien avant le départ. Sauf à avoir envie de ralentir tout le groupe à cause de soi !

LUI - Tu ne les as pas endommagés ?

ELLE - Quoi donc ?

LUI - Mes dictionnaires ?

ELLE - Ses dictionnaires ! Nous partons au bout du monde et il pense à ses dictionnaires !

LUI - Ben...

ELLE - Il suffit d'aller sur internet, non ?

LUI - Oui, bien sûr. Mais avec un dictionnaire, il y a une part de hasard, tu tombes parfois sur un mot que tu ne cherchais pas, tu feuillettes, tu voyages...

ANNONCE : Votre attention SVP ! Aéroport de Paris informe les aimables passagers du vol 443 de la compagnie Ibéria à destination de Bilbao que celui-ci est annulé. Merci de rester néanmoins courtois.

ELLE - Non, ça va, ce n'est pas pour nous.

LUI - Eh non !

ELLE - Il ne manquerait plus qu'ils se mettent en grève.

LUI - Ça ne serait pas de chance.

ELLE - Comme tu dis.

LUI - Non, pas à nous que ça arriverait.

ELLE - Allez, en route !

Ils font deux pas.

LUI - J'ai une roulette qui coince.

ELLE - Bon ! Dis carrément que tu ne veux pas partir !

(A suivre...)