JEANNE

 

 

 

Il se met à trottiner de profil par rapport à la scène. Visiblement, il souffre.

 

PABLO Putain, c’est l’enfer ! Faut que je fasse une pause ! (Il regarde sa montre en trottinant.) Non, tiens bon encore ! Allez, encore 30 secondes ! Tu peux le faire où tu ne t’appelles Pablo ! (Il continue. Visiblement, il a un point de côté.) Demain, j’arrête les clopes. (Il continue.) Faut que je bouffe sainement aussi… Terminé les pizzas ! (Il continue.) J’suis à combien, là ? Je fais bien du 5, 6 kilomètre/heure. Facile. Presque du 7. C’est pas mal. J’ai toujours été rapide. Pas super rapide, mais rapide quand même.

 

Elle, jogging moulant impeccable, foulée facile, le double comme une mobylette. Il accuse le coup, comme s’il avait pris une claque au moral, manque de s’arrêter, mais continue à trottiner.

 

PABLO (Quand elle s’est éloignée.) Frimeuse ! Ça se la pète 5 minutes et puis ça rentre chez soi pour s’écrouler ! On me l’a fait pas à moi ! Grognasse ! (Il continue à trottiner.) Et la bière aussi. (Un temps.) La bière, j’arrête ! (Silence.) Progressivement. C’est ça. Ne pas créer de choc organique. (Il regarde sa montre.) Encore 5 secondes.

 

Il s’arrête et se plie en deux.

 

J’ai l’impression que je vais vomir mon foie par terre !

 

Il regarde sa montre.

 

7 minutes. J’ai tenu 7 minutes ! Je récupère un peu et je m’y remets. L’important, c’est de bien respirer. Pour une première fois, j’suis plutôt bon. De toute façon, j’ai jamais été sportif. Faudra que je m’achète des baskets neuves aussi, c’est à cause de ça que j’avance pas. Bon, ça va mieux. Vas-y mon garçon ! Mais doucement, histoire d’éviter le claquage idiot.

 

Il se remet à trottiner. Elle arrive par l’arrière et se met à sa hauteur.

 

JEANNE Excusez. Ça vous fait rien si je reste à votre hauteur quelques minutes ? Comme vous êtes super lent, ça me permettra de récupérer sans me refroidir.

 

Ils tournent ensemble et trottinent face public. Il essaye de redresser un peu son torse.

 

JEANNE Je m’appelle Jeanne.

 

PABLO (Un temps.) Pablo.

 

JEANNE Comme Pablo Escobar ?

 

PABLO Le narcotraficant ? Ce n’est pas celui que je préfère.

 

JEANNE Je cherche…

 

PABLO Un poète ou un peintre...

 

JEANNE Picasso !

 

PABLO Bravo !

 

JEANNE C’est la voiture là-bas qui m’a aidé.

 

PABLO La voiture ? Ah, oui !

 

Silence.

 

JEANNE Vous vous ennuyez pas en courant comme ça ?

 

PABLO Non.

 

JEANNE Remarquez, à ce rythme là on a le temps de penser à autre chose.

 

PABLO C’est ça.

 

JEANNE C’est comme quand on marche, on pense à plein de trucs. (Un temps.) Vous courrez tout le temps comme ça ?

 

PABLO Non, j’suis comme vous, c’est pour pas me refroidir.

 

JEANNE Je me disais bien aussi. Personne ne court aussi lentement à moins d’être handicapé.

 

PABLO Ouais.

 

JEANNE Vous vous entraînez pour le plaisir ou pour la performance ?

 

PABLO (Grimaçant sous l’effort.) Le plaisir.

 

JEANNE Moi, c’est pour passer des tests.

 

PABLO Des tests ?

 

JEANNE Pour devenir pompier. A Paris. C’est super sélectif.

 

PABLO Vous déconnez ?

 

JEANNE Non, pourquoi ?

 

PABLO Y’a pas que des mecs ?

 

JEANNE Presque, mais pas que.

 

PABLO (Un temps.) Moi aussi.

 

JEANNE Vous voulez devenir pompier ?

 

PABLO (Il souffre.) Je voulais... petit... Quand... j’étais... petit.

 

JEANNE Ça va ?

 

PABLO ...Super.

 

JEANNE Vous êtes dans quoi ?

 

PABLO La musique. J'étais... dans les montres. Je... réparais.

 

JEANNE Qu'est-ce qui vous a fait changer ?

 

PABLO Les yeux. J'avais... mal aux yeux, ...à force.

 

JEANNE Ah oui, ça doit user ces minuscules mécanismes ! Et maintenant ?

 

PABLO La sono.

 

JEANNE Vous faites des concerts ?

 

PABLO Non, je mixe… En Boîte…

 

JEANNE En boite de nuit ? C’est cool !

 

PABLO Non, c’est chiant. Les gens… sont… chiants. Au début… ils… sont… sympas…. Mais… au fond…. Ils… sont chiants.

 

JEANNE Cela dit vous n’avez plus mal aux yeux.

 

PABLO Non, ...maintenant, ...c’est les oreilles.

 

Un temps.

 

JEANNE On se fait un p’tit sprint, genre le tour du lac ?

 

PABLO Allez-y. J’ai...encore ...deux ...trois ….trucs ...à ...penser.

 

JEANNE OK !

 

Elle part à fond. Dés qu’elle est sortie, il stoppe et s'accroupit au sol.

 

PABLO Oh putain, elle m’a canné ! (Silence.) Comment elle fait pour discuter comme ça en courant ? C’est pas humain ! Elle n’est pas humaine cette fille ! C’est ça ! C’est une extra-terrestre qui a débarqué juste pour ridiculiser les humains ! (Un temps.) Faut que j’arrête aussi les kebabs. (Ils se relève péniblement.) J’ai mal partout ! Demain, c’est sûr que je ne pourrais plus marcher ! (Silence.) Respire, mec ! Respire. (Il fait quelques exercices d’étirement.) Pompier ! Une folle ! Une vraie dingue ! (Un temps.) Cela dit, elle est pas mal. Elle est même carrément bonne ! Pour une fois que je rencontre une nana potable, j’suis à moitié mort et limite ridicule. Merde ! La revoilà !

 

Il se remet à courir. Elle revient à sa hauteur.

 

JEANNE Ça fait du bien ! Comment que ça décrasse !

 

PABLO Ça...

 

JEANNE Vous trouvez pas que j’ai tendance à courir avec les genoux un peu à l’intérieur ?

 

PABLO Euh, non.

 

JEANNE J’ai travaillé là-dessus. La technique, c’est la clef.

 

PABLO Ah oui !

 

JEANNE Vous, par exemple, vous respirez mal.

 

PABLO Je ne respire pas mal... Je ne respire plus...

 

JEANNE Ah, c’est pour ça !

 

PABLO Je crois… que… je … vais… tomber.

 

JEANNE C’est parce que vous ne courrez pas assez vite. Vous manquez de cinétique. Cela dit, moi, mon défaut c’est que j’ai tendance à trop accélérer. C’est mauvais pour l’endurance. C’est pour ça que je me mets des poids aux chevilles. Ça me freine un peu.

 

PABLO ...Des poids ?

 

JEANNE (Elle soulève son bas de jogging, il y a des poids souples tenus par des scratchs.) Regardez !

 

Il regarde, il s’écroule.

 

JEANNE Qu’est-ce qui vous arrive ? Mince, il me fait un malaise ! Il faut appeler les pompiers ! Mais au fait, je suis les pompiers ! J’ai passé tous les modules secouristes. Pas de temps à perdre, chaque seconde compte ! Allez, au travail ma vieille !

 

Elle lui fait un massage cardiaque et du bouche à bouche. Il revient à lui.

 

JEANNE Ça va ?

 

PABLO Encore un peu d’air.

 

JEANNE A votre service.

 

Elle recommence le bouche à bouche. Il pose son bras sur ses épaules et le bouche à bouche se transforme en un long baiser. Puis ils s’assoient côte à côte, un peu sonnés.

 

PABLO Eh ben !

 

JEANNE Ça faisait pas comme ça avec le mannequin du centre d’instruction.

 

PABLO Vous m’avez sauvé la vie.

 

JEANNE Je ne dois pas avoir encore l’habitude.

 

PABLO C’est sûrement ça.

 

JEANNE Vous n’avez pas profité un peu de la situation ?

 

PABLO J’allais vous poser la même question.

 

JEANNE Moi, je voulais juste vous ranimer !

 

PABLO Et vous avez super bien réussie !

 

JEANNE Un peu trop même…

 

PABLO Qu’est-ce qui ne va pas ?

 

JEANNE Si je tombe amoureuse du premier gars que je sauve, je ne suis pas sortie de l’auberge !

 

PABLO Et moi ? Vous pensez à moi ? Avec tous vos futurs collègues pompiers super beaux et athlétiques, je vais crever de jalousie !

 

JEANNE Pas de quoi vraiment, je ne couche jamais dans le travail.

 

PABLO Si on allait se boire une petite bière… non, je veux dire un jus de fruit ?

 

JEANNE Pourquoi faire ?

 

PABLO Ben.. pour… se connaître, se parler…

 

JEANNE Vous voulez me séduire après m’avoir embrassée ?

 

PABLO En courant, je n’ai pas la moindre chance face à vous. Alors ?

 

JEANNE Embrassez-moi encore une fois que je vois si ça vaut vraiment la peine de vous écouter.

 

PABLO Maintenant ?

 

JEANNE Oui, et ne tombez pas dans les pommes, une vie sauvée par jour, c’est bien assez ! Bon, on s’y colle ?

 

 

 

A SUIVRE....