EXTRAIT SCENE 2 TABLEAU 8
.....Arrivée de Dessourcet suivi d'Elisabeth, d'un autre combattant et de deux femmes en arme dont l'une est blessée.
DESSOURCET De la place, vite !
ÉLISABETH (à une femme faisant fonction d'infirmière ). Occupe-toi d'elle. Faites attention à son bras !
INFIRMIERE J'ai plus rien à lui donner. Plus de pansements, rien.
SERGELIN Du café ?
ÉLISABETH Oui. (Elle ôte sa capote trempée)
COMBATTANT Paris fume comme une bûche humide. Ça prend à la gorge, ça pique les yeux. De la barricade, on voit plus à 100 pas.
COMBATTANTE Du sang, de la pluie ! Tout est chaud et humide !
DESSOURCET (désignant un homme allongé). Comment est-il ?
INFIRMIERE (Se penchant vers lui et cherchant son pouls.) Il vient de passer.
Silence
SERGELIN Bon Dieu ! Et la barricade ?
DESSOURCET Elle tient. Et elle tiendra longtemps. Sauf s'ils amènent un canon...
COMBATTANTE On y a ajouté un piano. Quand ça tire dessus, ça fait de la musique !
COMBATTANT Ton café, tu veux savoir, eh bien ton café, c'est de la pisse !
SERGELIN Sois déjà bien content d'en boire !
DESSOURCET (aux communards). Faut y aller maintenant !.
2° COMMUNARD J'en peux plus commissaire. J'ai trop sommeil.
COMMUNARDE Allez ! On peut pas laisser les autres. Mets-toi debout. Là, prends appui sur moi.
2° COMMUNARD Même debout, j'mendors quand même.
COMMUNARDE Qu'est-ce que tu crois, c'est ça la guerre. (Ils sortent)
SERGELIN La guerre, c'est quand on dort plus, quand on se lave plus, qu'on sait plus si on est mort ou vivant. La guerre, c'est la grande fatigue. Tenez Commissaire, avalez-ça. C'est la dernière bouteille.
Le commissaire vide son verre. Sergelin passe l'éponge sur le comptoir.
COMBATTANT A quoi ça te sers d'astiquer ton zinc comme ça ?
SERGELIN Tant que j'suis en vie, on pourra boire un coup sans se salir les coudes sur mon bar. T'es au Chat Qui Parle ici. Un endroit qui se respecte !
Entrée d'un fédéré hors de souffle.
DESSOURCET Alors ?
LE FÉDÉRÉ Je... Attendez...
ÉLISABETH (lui tendant un godet). Tiens ! (Il boit)
LE FÉDÉRÉ Rues du Faubourg-du Temple, des Trois-Bornes, des Trois-Couronnes et le boulevard de Belleville, c'est tout ce qu'il nous reste !
DESSOURCET Ainsi, les jeux sont faits !
ÉLISABETH Le Père Lachaise ?
LE FÉDÉRÉ On se bat entre les tombes.
DESSOURCET Merci.
LE FÉDÉRÉ Vive la Commune ! (il va pour sortir et s'arrête sur le seuil) Adieu citoyens !
ÉLISABETH Combien de cartouches, Sergelin ?
SERGELIN J'en ai donné dix boites à ceux de la barricade Ménadier. Il en reste autant.
DESSOURCET Qui commande là-bas ?
SERGELIN Plus personne, mais ils continuent. Leur meilleur tireur n'a pas quinze ans !
COMBATTANT Toi aussi t'as un bon coup de fusil, l'aubergiste !
SERGELIN Bah ! Sur qui on tire au fond ? Sur de pauvres types, des paysans que les officiers ont monté contre nous autres en leur faisant croire qu'on voulait prendre leurs terres, qu'on étaient des assassins, des pilleurs, des pas catholiques du tout - ce qui est la seule chose de vraie ! Pas bête le Thiers : les pauvres contre les pauvres pendant que les bourgeois comptent les coups et préparent la facture ! On se bat entre cons en somme !Comme toujours ! A croire que les guerres, c'est fait pour ça !
On entend une explosion formidable, suivie de cris, de bruits de cavalcade. Soudain, une femme entre en courant.
LA FEMME Les Versaillais ! Les Versail...
Elle est tuée dans le dos par un soldat qui l'a suivie. D'autres soldats à sa suite tirent à travers les vitres du bar. Fernand parvient à se sauver. Tous les autres sont tués. Elisabeth à juste le temps de crier "Vive la Commune". Dessourcet, blessé, est projeté derrière le comptoir. Entre un brigadier.
UN SOLDAT Brigadier, méfiez-vous ! Y'en reste un derrière !
BOULANGER Sortez de là ! Sortez de là !
Dessourcet se relève.
DESSOURCET Finissez votre travail !
UN SOLDAT (le mettant en joue). Allez, sans rancune.
BOULANGER Attends ! Je le connais ! (il s'approche de Dessourcet). Commissaire ! Vous ici, parmi ces canailles ! Parmi ces canailles !
DESSOURCET Qui êtes-vous ?
BOULANGER Brigadier Boulanger. Je veux dire inspecteur Boulanger. J'étais dans votre équipe à la brigade, commissaire! A la brigade, commissaire !
DESSOURCET Boulanger... oui, c'est vrai... Tu es militaire à présent ?
BOULANGER Je suis venu libérer Paris de la racaille socialiste. Nous rétablissons l'ordre, Commissaire ! L’ordre !
LE SOLDAT Alors, j'le plombe ou pas ?
DESSOURCET Tirez !
LE SOLDAT J'reçois pas d'ordre d'un rouge, moi !
BOULANGER Attends ! Commissaire, les communards ont tué des dizaines d'otages, des hommes d'église, des gendarmes ! Leurs femmes ont allumé des incendies partout. Les Tuileries et l'Hotel de Ville sont en flammes ! Et vous approuvez çà ! Vous approuvez çà !
DESSOURCET Vous marchez dans du sang. Celui de cette pauvre fille que nous appelions Louise, celui de ce jeune homme dont je n'ai jamais su le nom, celui d'Elisabeth ? Connaissiez-vous Elisabeth, Boulanger ? Non, bien sûr, comment auriez-vous pu la tuer autrement ? De la racaille, hein ? Eh bien si ça me dit d'en être ! D'être de ceux qui voulaient ne plus crier "Vive l'Empereur" avec une baïonnette dans le dos ! Saviez-vous que chaque ouvrier de France avait sa fiche à la préfecture, Boulanger ? Le beau pays que nous sommes, vraiment !
Entre un officier.
L'OFFICIER Et ici tout est propre ? Qui est cet homme ?
BOULANGER Un commissaire de police, Capitaine. Je servais sous ses ordres avant la guerre. Avant la guerre !
L'OFFICIER Communard ?
BOULANGER Ben... Ben...
DESSOURCET Oui !
L'OFFICIER Un commissaire ! Le mal était donc profond ! (il va pour sortir)
BOULANGER Que faisons-nous de lui ? Que faisons-nous de lui ?
L'OFFICIER Les ordres ne sont pas clairs ?
BOULANGER Mais... c'est le Commissaire Dessourcet ! Le commissaire Dessourcet !
L'OFFICIER Rien à foutre ! Tuez-le !
BOULANGER Moi...? Moi... ?
L'OFFICIER Oui, vous ! Et arrêtez de tout répéter, ça agace !
Boulanger ne bouge pas.
L'OFFICIER Vous refusez ?
A SUIVRE....