EXTRAIT SCÈNE 2 TABLEAU 3
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DESSOURCET Écoutez Delettre, cette affaire ne me plaît pas. A Paris ! En plein jour ! Sans le moindre témoin ! Ce n'est plus de la disparition, c'est de l'évaporation ! Si vous savez quelque chose, il faut me le dire. Ferrand est un homme influent. On a pu vouloir lui nuire à travers sa fille.
MAXIME Ferrand ! C'est de tels individus dont la société devrait se défaire ! Il mange à tous les râteliers Ferrand !
DESSOURCET Quels étaient vos rapports avec lui ?
MAXIME Je n'avais aucun rapport avec lui.
DESSOURCET (jésuite). Potentiellement, vous étiez son gendre...
MAXIME Je suis journaliste ! (Un temps) Pourquoi laissez-vous en liberté les affairistes, les conspirateurs, les libéraux et toute la clique des mouchards du clergé, tous ennemis jurés de la République !
DESSOURCET Vous voudriez réitérer la terreur ?
MAXIME L'histoire ne repasse jamais deux fois les même plats Commissaire. Nous ne sommes plus en 1789. Ceci dit, vous voyez un Saint-Just ou un Robespierre s'embarrasser de scrupules alors que chaque heure nouvelle renforce la réaction ! Nous perdons du temps ! Alors qu'il suffirait à la Commune qu'une poignée d'hommes décidés...
DESSOURCET Et la démocratie dans tout cela ?
MAXIME Un luxe qu'on va payer cher. Plus je réfléchi, plus je me rends compte que le besoin de légalité qui honore les membres du comité est une erreur politique. Car ces élections, ce sont aussi 10 jours de perdus ! A Versailles, Thiers reconstitue ses forces militaires. Organise la réaction avec les éléments les plus revanchards de l'armée ! Il dresse contre nous des milliers d'hommes en nous faisant passer pour des monstres sanguinaires ! Non, la bourgeoisie ne laissera jamais la France aux mains des ouvriers, elle aurait trop à y perdre !
DESSOURCET Si vous n'aimez pas les bourgeois... pourquoi avez vous fait d'Orianne votre maîtresse ?
MAXIME Je vous vois venir, Commissaire ! Je sais parfaitement que ma liaison avec Orianne vous est suspecte.
DESSOURCET Disons qu'elle m'étonne un peu.
MAXIME Elisabeth m'avait présenté Orianne comme une véritable militante, mais j'ai vite compris qu'elle fuyait surtout sa famille. Vous avez sûrement un portrait d'elle, n'est-ce pas ?
DESSOURCET C'est exact.
MAXIME Alors vous comprendrez facilement que j'ai pu m'intéresser à la fille en me fichant pas mal du père.
Silence
DESSOURCET J’ai appris qu’Elisabeth était partie en Province. Pourquoi ?
MAXIME Elisabeth est une oratrice exceptionnelle, elle et plusieurs autres sont allées informer les grandes villes de France de la situation à Paris.
DESSOURCET Quand revient-elle ?
MAXIME Dans une semaine, peut-être moins... Écoutez, ne croyez pas que le sort d'Orianne me laisse indifférent, ne le croyez surtout pas ! Je suis inquiet pour elle et je remue ciel et terre, mais nous vivons ici des temps décisifs !
DESSOURCET Comme en 48 ?
MAXIME Non, cette fois-ci le peuple ira jusqu’au bout !
On entend des voix derrière la porte. Quelqu’un cherche à rentrer sans autorisation. Entre Ferrand.
FERRAND Alors Dessourcet où en est-on ? (Toisant Maxime) Vous avez des suspects ?
MAXIME Commissaire, qui dirige vraiment l'enquête ?
DESSOURCET Je ne crois pas vous avoir autorisé à entrer, Monsieur Ferrand ?
FERRAND Excusez alors mon empressement qui n’est dû qu’à la souffrance d’un père !
MAXIME Mensonge ! Vous vous fichez bien de votre fille !
DESSOURCET Tenez-vous tranquille, vous !
FERRAND (à Maxime). On fait moins le fier, hein ?
MAXIME L'entretien est terminé ?
DESSOURCET Je vous demande simplement de ne pas quitter Paris.
MAXIME Quitter Paris, ça serait fuir la liberté ! (Il sort)
FERRAND Sacrée tête de mule ce gaillard-là !
DESSOURCET Que lui reprochez-vous ?
FERRAND Vous avez vu son regard ? Il m'a volé ma fille. De toute façon, il ne cherche qu'à me nuire.
DESSOURCET L'aviez-vous déjà rencontré auparavant ?
FERRAND Je l'ai croisé une ou deux fois.
DESSOURCET En compagnie de votre fille ?
FERRAND Elle est venue un soir se pavaner avec lui jusque dans la cour de mon hôtel.
DESSOURCET Exprès ?
FERRAND Bien sûr exprès. Je désapprouvais qu'Orianne s'affiche avec un gratte-papier aux mœurs douteuses.
DESSOURCET Et elle passait outre...
FERRAND L'éducation tout est là, Commissaire ! A la mort de sa mère, je l'ai choyée, gâtée. Non, vraiment, cet acharnement qu'on a à vouloir se faire aimer parfois... Car les enfants sont comme les domestiques : c'est dans la crainte du maître que se forge l'attachement qu'ils ont pour lui. Passez sur leurs erreurs, ils prennent cela pour de la faiblesse et, à la première occasion, vous rendent les coups qu'ils n'ont pas reçus. Mais vous en avez sans doute fait l'expérience...
DESSOURCET Nous employons la même femme de chambre depuis une dizaine d'années et je suis le parrain de son dernier fils.
FERRAND Vous êtes un idéaliste.
DESSOURCET Pourquoi dites-vous de Maxime Delettre qu'il est un gratte-papier aux mœurs douteuses ?
FERRAND N'est-il pas journaliste ?
DESSOURCET Journaliste, oui, et alors ?
FERRAND Disons qu'il s'agit d'un ensemble de comportements, du manquement à certaines valeurs fondamentales qui est caractéristique de ce genre de personnages.
DESSOURCET C’est à dire ?
FERRAND Allons Commissaire ! Ne sommes nous pas tous de bons républicains ?
DESSOURCET Je le crois.
FERRAND Évidemment, à y regarder de plus près...
DESSOURCET Oui ?
FERRAND On peut cacher beaucoup de choses derrière un drapeau. De drôles d'idées, mais aussi de drôles de gens.
DESSOURCET Je ne suis pas sûr de... ?
FERRAND (éclair d'orgueil, puis de méfiance). Tout de même, il suffit d'ouvrir les yeux : de même que la France n'est plus la France depuis la défaite, Paris ne se respecte plus, Commissaire. (Bas) Il y a des gens dans les rues qui ne sont pas d'ici : Polonais, Italiens et d'autres encore. Accourus ici comme des requins par l'odeur du sang. Et on laisse faire. Cette ville n'est plus qu'un bateau ivre.
DESSOURCET Tant qu'elle ne coule pas.
FERRAND Une nation a besoin d'ordre ! Ne serait ce que pour permettre les affaires et le commerce. Commissaire, dans les cafés, de même qu'à l'intérieur des clubs, tout le monde n'est peut-être pas aussi pur dans ses idées qu'on le pense.
DESSOURCET Aussi pur...
FERRAND On a manipulé ma fille, j'en suis sûr. On lui a monté la tête avec des idées soi-disant révolutionnaires de gens qui songent bien plus à couper des têtes qu'à faire progresser la justice sociale. Sans parler de ces internationalistes qui voudraient abolir le droit de posséder.
DESSOURCET Nous n'en sommes pas encore là... Avez-vous reçu des menaces, une demande de rançon, peut-être ?
FERRAND Non, rien.
DESSOURCET Votre fille était-elle de près ou de loin au courant de vos affaires ?
FERRAND Pourquoi cette question ?
DESSOURCET Qui aurait pu avoir intérêt à faire disparaître une jeune femme qui ne dérangeait personne ?
FERRAND Vous oubliez Elisabeth, la compagne de Maxime.
DESSOURCET Je n'oublie jamais rien, monsieur Ferrand. Jamais. D'ailleurs, j'ignorais que vous la connaissiez.
FERRAND (évasif). Je suis au courant de son existence, tout au plus... Commissaire, il va être bientôt midi. J'ai réservé une bonne table au Louis XVI. En prenant mon coupé nous y seront au plus tôt.
DESSOURCET Vous avez de la chance de posséder encore un attelage.
FERRAND Allez, venez Commissaire, je vous présenterai à des amis !
DESSOURCET C'est très aimable à vous, mais voyez-vous j’ai du travail.
FERRAND Vous avez du caractère, j'aime ça ! A ce propos, je m'étonne qu'un homme comme vous accepte d'être dirigé par ce préfet-là, comment s’appelle-t-il, déjà ? Un nom assez commun...?
DESSOURCET Duval.
FERRAND C’est ça ! Duval ! Un ouvrier fondeur !
DESSOURCET A moi, il semble capable.
FERRAND Capable oui, mais sans manière, ni expérience. Enfin, nous verrons bien...
DESSOURCET A bientôt Monsieur Ferrand.
FERRAND Comptez sur moi.
A SUIVRE....