PREMIER TABLEAU

 

Scène 1

 

1896

Dans un couloir de l’hôpital psychiatrique.

Le visiteur (55 ans) et une infirmière.

LE VISITEUR     Et vous me dites que Madame Benson est dans votre établissement depuis 25 ans ?

L'INFIRMIÈRE    Marie ? Elle est entrée printemps 71 Ici on l'appelle "La communarde".

LE VISITEUR     En raison de ses opinions politiques?

L'INFIRMIÈRE   Mon Dieu, non ! Mais son arrivée date des événements, voilà tout !

LE VISITEUR     Et cela fait 20 ans qu'elle n'a pas prononcé un mot ?

L'INFIRMIÈRE   C'est ça, 20 ans.

Silence

LE VISITEUR     Reçoit-elle des soins particuliers ?

L'INFIRMIÈRE    A vrai dire, personne ne connaît exactement la nature du mal dont elle souffre, et comme elle ne nous pose pas de problèmes...

LE VISITEUR     A-t-elle parfois des visites ?

L'INFIRMIÈRE   Non. En tous cas plus depuis longtemps.

LE VISITEUR     A-t-elle été prévenu de la mienne ?

L’INFIRMIÈRE   Naturellement. Marie déteste qu’on lui impose quoi que ce soit. J’ai dû faire pression pour qu’elle accepte de vous recevoir.

LE VISITEUR     Faire pression ?

L’INFIRMIÈRE    Oh, nous savons nous y prendre ! Nous avons nos petites recettes, voyez-vous ! Ce ne sont tout de même pas les malades qui commandent, n’est-ce pas ?

LE VISITEUR     Bien sûr... Ainsi donc, elle écoute quand on lui parle ?

L’INFIRMIÈRE   Oui, mais il y a eu une altération récente de son comportement. Elle ne réagit plus du tout. Elle semble sombrer peu à peu.

LE VISITEUR     Sombrer peu à peu...

L’INFIRMIÈRE    Mais vous comprendrez mieux tout cela par vous-même professeur.

LE VISITEUR     Elle ne manifeste vraiment plus rien ?

L'INFIRMIÈRE    Si ! Quand une présence commence à la lasser, elle remplit son verre avec la carafe de sa table; ça signifie qu'on doit la laisser. (Silence) Nous y sommes. Je vous abandonne professeur. Je vous souhaite bonne chance, bien que je doute que vous retiriez grand chose de cette rencontre.

 

Une chambre d'un asile. Le visiteur et Marie 45 ans.

Le visiteur entre dans la pièce plongée dans la pénombre. Une pile de vieux journaux forme colonne dans un coin.. Marie, assise sur une chaise à côté de la table où se trouvent un verre et une carafe, lui tourne le dos.. Long silence.

 

LE VISITEUR   Je suis désolé d’arriver si tard. (Silence.) Le jardin du cloître est splendide ! Me permettez-vous ? (Il essaye d'ouvrir une fenêtre, mais celle-ci est condamnée.) Oui, bien sûr... On n'ouvre pas les fenêtres souvent ici. Je ne suis pas habitué à ce genre d'endroit, voyez-vous... Oui, j’ai dû mentir pour obtenir le droit de vous rencontrer, Madame... Benson. (Silence.) Je ne suis pas tout à fait un spécialiste des maladies mentales. J’espère que vous me pardonnerez ce subterfuge. (Pause.) Ainsi donc, selon le registre de l’hôpital, vous vous appelez Marie Benson. C’est un nom britannique... J’ai connu un William Benson à Londres. Un parent à vous peut-être ? Il y a une forte communauté française là-bas, pour la plupart d’anciens communards qui ne sont jamais rentré. C’est étrange comme le passé d’ici y est resté présent... (Pause.) Bien sûr, tout cela est loin maintenant... Je crois que vous avez connu cette époque Madame Benson. Il se peut même que vous vous y soyez trouvé mêlée d’une façon assez particulière.

(Saisissant quelques exemplaires sur la pile.) C’est curieux ! Ces journaux vous appartiennent ? Me permettez-vous ? Paris dévasté ! L’horrible vérité sur les pétroleuses ! Le sort tragique des otages ! Les loups étaient dans Paris ! L’ordre règne ! Gloire à nos soldats ! (Pause.) De l’excellent journalisme, n’est-ce pas ? Des gens qui ne faisaient que leur métier. Bien sûr, le temps a apporté quelques nuances à tout ceci... (Sortant un calepin.) J’ai une histoire à vous raconter... Une histoire pour laquelle j’aurai besoin de votre aide... Voilà : Ce carnet m’a été remis par un jeune homme dénommé Léopold. Ce carnet est tout ce qui lui reste de son père. Un homme qui était alors commissaire de police... Quand je dis que tout cela vous concerne... c’est une hypothèse, une hypothèse que vous seule... Cet homme donc s’appelait Dessourcet, commissaire Dessourcet. L’histoire commence le 18 mars 1871..