L'ÉTERNEL PREMIER

 

L'ÉTERNEL PREMIER d'après le roman de Paul Fournel

 

 

avec   Matila Malliarakis, Clémentine Lebocey, Stéphane Olivié Bisson

 

Mise en scène Roland Guenoun

 

 Anquetil, le champion cycliste qui n'aimait pas le vélo.

Reprise de ce spectacle qui ne ressemble à aucun autre : Matila Malliarakis alias Jacques Anquetil enfourche sa bicyclette pour un nouveau de tour de piste.

Adaptée du roman de Paul Fournel Anquetil tout seul, cette pièce retrace l'histoire du coureur cycliste Jacques Anquetil, icône de la petite reine et cinq fois vainqueur du Tour de France.

L’Intérêt du récit réside pour commencer dans la personnalité du champion qui toute sa vie est parvenu à plier le réel à sa volonté. Coureur surdoué, à la fois calculateur et fantasque, s'entrainant à la souffrance comme d'aucun, mais aussi jouisseur et bon vivant, peu adepte de la langue de bois (ce qui lui valut bien des tracas dans un milieu où l'omerta a toujours été une seconde nature), il fut un paradoxe vivant.

Tour à tour fêté et hué, il déchaina les passions françaises pour le cyclisme qui, de Fausto Coppi à Louison Bobet en passant par Raymond Poulidor ne furent jamais autant électriques que ces années d'après guerre.

Se sachant mal aimé (De lui, Antoine Blondin, plus belle plume du Tour, écrivit la formule assassine : « un gérant de la route », par opposition aux « géants de la route.»), Anquetil se lança donc dans le doublé Dauphiné libéré / Bordeaux-Paris en 1965, enchainement totalement fou et réputé impossible qu'il remporta pourtant devant un public désormais conquis.

La pièce prend en compte l'homme, mais aussi son entourage sportif - entraineur, partenaire, puis coach - mais aussi sa femme qui ne le quittait jamais (exceptionnelle incarnation de Clémentine Lebocey, bluffante en égérie du champion). Car si Anquetil en tant que sportif était hors norme, nous découvrons que sa vie intime ne fut pas moins hors catégorie.

Homme pressé, c'est toute son existence qui semble soudain n'avoir été qu'un gigantesque contre-la-montre !

On se retrouve bien vite à se passionner pour cette histoire qui nous colle à la route, et qui alterne état intérieur du cycliste dans son rapport à la souffrance et tragi-comédie du business sportif.

Jamais sans doute il ne nous a été donné de rentrer à ce point dans la tête d'un grand champion, de pouvoir ressentir quasi-physiquement son rapport à la douleur et donc son rapport au monde.

L'autre point fort de ce spectacle réside dans notre relation à la mémoire, et spécialement la façon dont nous construisons nos souvenirs personnels à partir d'un imaginaire collectif. Le regard du narrateur vers son enfance - où rien ne correspond exactement à ce dont il aurait juré avoir été témoin - est poignant.

 La scénographie et les moyens vidéo sont tout simplement somptueux. La mise en scène de Roland Guenoun qui signe aussi l'adaptation du beau roman de Paul Fournel, est de toute beauté.

 Stéphane Olivié Bisson croque avec gourmandise une galerie de personnages hauts en couleurs, et que dire de Matila Malliarakis en champion amphétaminé de son plein gré, qui éclabousse de son talent et de sa fraicheur cette pièce particulièrement virtuose.

 Spectacle à la fois puissant et sensible, où il n'est nul besoin d'être un aficionado du cyclisme pour se faire embarquer par une histoire qui déborde largement le fait sportif.

 

Bref, il se passe quelque chose d'unique sur le plateau de L'ÉTERNEL PREMIER. Un moment de grâce...

 

 

MB