LA VERSION BROWNING

LA VERSION BROWNING, de Terence Rattigan

 

Mise en scène Patrice Kerbrat

 

avec  Jean-Pierre Bouvier, Marie Bunel, Benjamin Boyer, Pauline Devinat, Philippe Etesse, Nikola Krminac, Thomas Sagols

 

Retour au Poche Montparnasse pour une pièce d'un auteur britannique qui se déroule à la fin des années 40 dans le confinement d'une public-school anglaise qui, comme son nom ne l'indique pas, est plutôt réservée à l'élite.

Nous sommes le dernier jour des cours. L'ultime jour d'enseignement aussi pour le professeur Crocker-Harris dont la santé fragile va devoir le faire renoncer à sa charge. Or, cet enseignant - jadis brillant universitaire - ne se fait plus d'illusions ni sur sa propre vie, ni sur la pédagogie, ni même sur l'utilité de l'apprentissage des langues anciennes. A vrai dire, il n'a pas autour de lui beaucoup de motifs de satisfaction : son directeur l'embobine, ses collègues le prennent pour un vieux schnock, ses élèves le craignent ou le moquent, et sa femme le trompe ! Pourtant, on sent que sous l'énorme carapace d'un homme méprisé subsiste encore l'espoir que, peut-être, le passionné de littérature grecque qu'il était serait parvenu parfois à transmettre un peu de sa flamme primitive pour les belles lettres. En tout cas, en ce dernier jour des cours donc, cela a peu de chance d'arriver avec le jeune Taplow qu'il retient dans son bureau-appartement pour une leçon de rattrapage, et qui ne semble montrer que des dispositions médiocres pour la traduction de l'Agamemnon d'Eschyle ! Et pourtant...

Écrite plus de 20 ans avant Qui a peur de Virginia Woolf ? d'Edouard Albee, cette pièce fait déjà voler en éclats le conformisme hypocrite tant de la sphère sociale, que celui du couple - au sein d'un établissement censé former l'élite du pays. On y retrouve le même climat délétère, le même désenchantement, la même violence prête à exploser. Mais ici le sujet est moins le couple, auquel l'auteur ne croit plus, ni même l'amour, que la possibilité d'une amitié plus subtile entre les hommes (La gente masculine seulement). Il faut préciser enfin que les femmes sont ici habillées pour l'hiver.

C'est intelligent, sensible, féroce et plein d'humour (Nous sommes en Angleterre après tout.)

Dans les contraintes d'espace du plateau du "Poche", la mise en scène est fluide, la direction des comédiens d'une rigueur totale, et même la laideur du décor rend service à l'esprit de la pièce par son côté désuet et étouffant.

Côté comédiens, Jean-Pierre Bouvier est tellement brillant à restituer ses tourments intérieurs et physiques, qu'on en oublierait de dire qu'il est entouré de partenaires de grande qualité.

Bref, je recommande vivement cette pièce à la dramaturgie subtile.

 

MB