EIGENGRAU

EIGENGRAU de Penelope Skinner

 

 

Avec Aurore Kahan, Mélanie Peyre, Nicolas Schmitt, Pol Tronco

 

Mise en scène Zoé Lemonnier

 

 

A la Manufacture des Abbesses la qualité des spectacles est une constance. C'est le cas ici avec cette pièce percutante qui parle des relations toxiques entre 2 hommes et 2 femmes dans le Londres ultra-libéral actuel (Cela pourrait être tout aussi bien Paris.)

Côté mâle, si l'un est un séducteur que n'étouffe pas la morale, l'autre demeure traumatisé par la perte de sa grand-mère, et parait autant adapté à la société productiviste qu'un pingouin au Sahara . Côté femmes, nous avons une féministe militante très - trop - braquée contre la gente masculine, et une curieuse fille qui non seulement croit à toutes les inepties du moment, mais se révèle de plus monomaniaque sur le sujet des sentiments.

L'action se noue lorsque Marck séduit tour à tour les deux femmes. S'il ne fait que répondre à sa nature profonde, il provoque dans son entourage une réaction en chaine digne d'un vaudeville, sauf qu'ici nous sommes dans un drame : si la fantaisie des situations est réelle, l'étude des caractères prime, et les personnages prennent peu à peu une densité inquiétante. Ce qui n'est qu'un jeu devient dés lors une lutte terrible dont les contours appartiennent en propre à chaque protagoniste : quoi qu'il fasse chacun reste prisonnier de sa propre logique.

 

On retrouve dans chacun de ces personnages une part de soi-même : bien sûr, ils sont paumés, mais ne le sommes nous pas devenus également ? Le constat établi par Penelope Skinner est sombre, mais elle montre que malgré tout la vie finit par se frayer un passage.

 

Diction impeccable et rythmique du phrasé contemporaine - le jeu des comédiens est d'une puissance et d'une sobriété parfaites. Il sert un texte direct et complexe à la fois qui n'hésite pas à appuyer là où ça fait mal, et qui brosse avec justesse la cruauté des rapports humains à l'ère de l'individualisme triomphant.

Une réussite indiscutable. Seul bémol : ça mériterait un quart d'heure de moins.

 

Bref, c'est parfois trash, mais toujours juste. Du vrai théâtre donc, à la fois inventif et maîtrisé.

 

Avec qui ? Des gens intelligents et sensibles. Des gens à votre image.

 

MB