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HAMLET KEBAB d'après (ou de loin) William Shakespeare
Performance filmée de Rodrigo Garcia
avec Alain Feffer, Stéphane Foulgoc, Lyna Khoudri, Bamba Nana, Razek Salmi, Reda Sourhou, Clément Tang, Mamadou Traoré
Sur le site du Centre Dramatique de la Commune (CDN Aubervilliers) on peut lire ceci à propos d'Hamlet Kebab :
"À Aubervilliers, entre le métro et le théâtre, il y a l’avenue de la République. Avec ses gens, ses commerces, ses kebabs. Il paraît que tout ce monde ne vient pas au théâtre, qu’il n’y a que
des parisiens. Alors on prend tout et on recommence, en désordre : Hamlet, le kebab, les non-spectateurs d’ici, et Paris.
Rodrigo García souhaite mettre en jeu l’énergie d’un roman d’aventure : révélation, recherches de preuves, désir d’agir pour réparer une injustice, conspiration, bannissement, duel… Et en creux
de l’aventure, comment les conflits intérieurs d’Hamlet – vie, mort, justice et passage à l’acte - résonnent aujourd’hui dans les esprits des jeunes gens d’Aubervilliers ?
Chaque soir, la pièce sera jouée dans un kebab des Quatre Chemins à Aubervilliers, filmée et retransmise en direct au MK2 Bibliothèque."
"Comment les conflits intérieurs d'Hamlet résonnent aujourd'hui dans les esprits des jeunes d'Aubervilliers ?" Bon d'accord, ça fait un peu scolaire comme accroche, sujet philo pour Bac littéraire, dichotomie pour sociologues intra-muros, etc... mais bon, il s'agit de Rodrigo Garcia, et quand Rodrigo Garcia fait quelque chose, il n'a pas l'habitude de le faire à moitié ! On allait voir ce qu'on allait voir ! L'enfant terrible du théâtre issu de l'univers de la pub, le plasticien no-limit, l'auteur de textes au vitriol tels que J'ai acheté une pelle à Ikéa pour creuser ma tombe ou L'Histoire de Ronald, le clown de Mac Donald's , se coltinait au grand William S. sous la forme d'une performance filmée et retransmise en direct depuis un Kebab du neuf cube (93) ! La classe ! On tremblait à l'idée de ne pas avoir une place ! De ne pas en être! De n'en n'être pas ! To be there or not to be there !
Hélas, quand le spectacle commence, il s'avère très vite que le seul absent soit Shakespeare lui-même. On peine en effet - même en connaissant plutôt bien l’œuvre originale - à suivre la progression de l'action (on n'est pas là pour assister à une représentation classique, certes, mais quand même, et puis on se raccroche à ce l'on peut) : comédiens inaudibles et peinant à réciter ou à lire leur texte, images saccadées et problèmes techniques (dont on finit par se perdre en conjectures si voulus ou non), bande-son parfois insupportable, insertion dans le montage de scènes de séries télé sensées fonctionner au quatrième degré, costumes ridicules, tout ça noyé dans le ketchup et d'une vulgarité triste ! Ni tension, ni dramaturgie identifiable... Amateurisme à tous les étages... On attend en vain le coup de génie, mais force est de constater que chaque nouvelle séquence fait aussitôt regretter la précédente !
Si je suis resté jusqu'au bout - l'ultime combat qui tourne au massacre est ici remplacé (détourné ?) par de longues minutes de catch pro dans lequel les athlètes sont déguisés en costumes de super-héros vaguement sado-maso - c'est exclusivement par conscience critique, et non par snobisme. Je tenais à le préciser.
A la fin, la seule question qui se pose vraiment est : "Pourquoi ça ?"
Piste : Rodrigo Garcia cherche-t-il a démontrer qu'à partir d'un certain degré de notoriété (donc de légitimité et par conséquent de pouvoir) on peut tout se permettre ? Que ce public (son public) qui se prétendrait volontiers "politiquement incorrect" (comme lui), serait en fait manipulable et passif, donc très politiquement correct ?
Et que vient faire le CDN d'Aubervilliers et sa volonté prosélyte d'un théâtre décentralisé et vraiment populaire ? Et ces jeunes ou moins jeunes comédiens amateurs certainement pleins de bonne volonté enrôlés dans cette parodie un peu malsaine ? Et Hamlet ? Seul Rodrigo Garcia le sait.
L'humoriste Rémi Gaillard, gagman pas toujours léger - mais parfois drôle - a pour slogan : « C'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui » auquel il ajoute, un brin provocateur : « Il faut n'importe quoi pour faire une bonne vidéo »
Il semblerait qu'il ait été entendu.
Bref, le sentiment pénible d'assister à la mort d'un artiste. Incompréhensible tant sur le fond que sur la forme. Ni provoquant, ni pertinent, juste gras et triste comme un mauvais kébab qu'on a avalé seul sous des néons couverts de chiures de mouches, et qui vous reste sur l'estomac.
Avec qui ? Heureusement, le problème ne se pose plus, la dernière était hier.
Au MK2, du 7 au 10 Mars 2016
MB