OPEN SPACE

OPEN SPACE de Mathilda May

 

 

avec Stéphanie Barreau, Agathe Cemin, Gabriel Dermidjian, Loup-Denis Elion, Gil Galliot, Emmanuel Jeantet, Dédeine Volk-Leonovitch

 

 

Il n'a pas d'époque ce bureau (pardon, cet Open Space) ou plutôt, il les a toutes : des années 30 à nos jours, on y trouve de tout. C'est à la fois familier et absolument impersonnel, du pur fonctionnaliste, mais avec des placards démesurés, une zone fumeur étroite comme une cabine d'essayage, un ascenseur qui évoque une tour interminable, une machine à café effrayante comme un Moloch. On pense tour à tour à Métropolis, à Playtime, à Brazil : ici, l'humain n'est pas le bienvenu.

L'Humain, justement, c'est le pool de collègues qui arrive groupé pour faire fonctionner cette entité qui ne connait que l'efficience et la rentabilité. Nous ne saurons jamais précisément l'activité de cette compagnie, une chose est sûre, elle produit de l'argent.

Ce n'est pourtant pas le silence feutré des lieux de pouvoir qui règne ici, mais les bruits des téléphones et des claviers : nous sommes dans un lieu de production.

L'idée parfaite de la mise en scène de Mathilda May se tient dans le parti pris d'avoir éliminé le langage ordinaire au profit d'une écume sonore, d'un savant mélange de bruitages et d'onomatopées. Couinement des sièges, choc des talons, mille petits bruits de la vie de bureau ponctués de gloussements, d'exclamations et parfois de phrases incompréhensibles, sabir drôlatique d'un monde où chacun communique en vase clos.

L'organisation de la vie de bureau en "Open Space" que nous expose la pièce, n'est décidément pas celui d'une modernité heureuse qui aurait triomphé de la hiérarchie et du cloisonnement, mais celui d'une société qui entend rentabiliser l'espace et accroitre le contrôle social de tous sur chacun.

C'est d'ailleurs la force de ce spectacle : rien n'est dit, tout est montré, donc tout est suggéré.

Les individus d'Open Space ne sont pourtant pas des robots indifférenciés. Chacun, au contraire, joue sa petite musique, possède ses propres façons de faire, révèle ses manies, ses obsessions et ses phantasmes. S'ils sont tenus par le "système", ils n'en sont pas moins rentré en résistance à leur manière.

Préserver la part d'humanité de chacun dans une organisation où les graphiques de performances ont la force de la loi, c'est tout l'enjeu de ce qui se joue sur scène, avec l'employé placardisé et suicidaire (excellent Emmanuel Jeantet) dont tout le monde se fout, la secrétaire irréprochable qui s'envoie des rasades d'alcool en douce, le golden boy (très bon Loup-Denis Elion) qui attirent les femmes plus par jeu que par goût, l'employée complexée (étonnante Agathe Cémin) qui se rêve en fille de cabaret...

 

En bref, un spectacle très chorégraphique offrant à qui le voudra une prise de conscience salutaire en s'amusant.

 

Avec qui ? Evitez d'y traîner votre copine de Sartrouville qui totalise 20 ans de secrétariat de direction dans une grande société d'assurance, et qui, à ce titre, est totalement lobotomisée.

 

Jusqu'au 5 Juillet, au Théâtre de Paris

 

MB