APPELS EN ABSENCE

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APPELS EN ABSENCE (Dead man's cell phone) de Sarah Ruhl

 

avec Nathalie Baunaure, Fiamma Bennett, Yves Buchin, Dorli Lamar, Audrey Lamarque (en alternance avec) Emily Wilson, Marc Marchand

 

Pensez à éteindre votre téléphone portable (avant de mourir).

 

Vous êtes au restaurant et le portable de votre voisin de table n'arrête pas de sonner sans que son propriétaire ne daigne décrocher. Excédée, vous finissez par lui faire une réflexion, puis pensant qu'il est peut-être sourd, par décrocher à sa place. Vous venez de mettre l'oreille dans un engrenage fatal. Car, quand vous reposez le téléphone, le type s'écroule au sol.

C'est ce qui arrive à Jean (prononcer Gin), et le mec mort s'appelait Gordon. (Les lecteurs attentifs et soûlographes patentés ont vu que cela nous donne « Gordon's Gin ». Mais refermons cette page de publicité.)

Or, Jean est une drôle de fille. Elle a gardé le téléphone du mort, répond à ses appels, rentre en contact avec ses amis, sa famille, sa femme et sa maîtresse. Et surtout réinvente la cartographie des sentiments de Gordon pour plaire à tous, en imaginant des mots qu'il n'a pas prononcés, des phrases qu'il n'a pas écrites, des attentions qu'il n'a pas eues, des sentiments qu'il n'a pas éprouvés. Car, vivant, Gordon était un sale type, et qui de surcroît faisait un sale métier. C'est d'ailleurs à cause de cette activité pour le moins immorale que les choses vont se mettre à sacrément déraper pour Jean...

Exceptés Jean et Le frère de Gordon, les personnages sont volontairement stéréotypés, induisant cette impossibilité brechtienne de s'y identifier. Cela fonctionne pas mal globalement, dans une mise en scène (Emily Wilson) un peu tape à l'œil, mais efficace. La scénographie est bien pensée, comme quoi on peut faire simple et beau. Le principal bémol tient à la présence de deux scènes (La papeterie et le monologue de la femme de Gordon) qui plombent un peu une pièce par ailleurs rafraîchissante.

On sent de plus chez les comédiens une belle énergie et un réel plaisir à être là.

 

Bref, ce spectacle original et ambitieux nous interroge sur ce que nous sommes à l'heure où nous laissons des doubles numériques de nous-mêmes, des avatars, se superposer à notre identité.

 

Avec qui ? Votre boss qui passe sa vie avec l'oreille collée au portable. Prévenez-le, qu'une fois mort, il pourra se brosser pour que vous continuiez à répondre à ses appels.

 

Au Lucernaire, jusqu'au 9 Mai

 

MB